« Toots » par Olivier Poumay (harmoniciste)

Il s’est consacré « corps et âme » pour apporter les lettres de noblesse à notre instrument. 94 ans c’est un bel âge pour nous quitter.
C’est un père que j’ai tué et ressuscité, un modèle tellement imprégnant que je l’ai évité puis cherché à m’en approcher. Avec la maturité, je peux, volontairement, m’en inspirer sans perdre ma personnalité. Cette année, avec le projet Brésilien avec André Klenes et Stéphane Martini puis mon retour au jazz, en Russie puis avec Paolo Loveri, ses disques tournent à nouveau et je plonge…
On me demande souvent si sa notoriété est juste…
Il doit sa grandeur musicale au travail incessant. Il ne voulait pas visiter la ville, juste rentrer à l’hôtel et pratiquer. C’était un passionné jusqu’au bout. En 2008, il explorait encore de nouvelles voix harmoniques  » je suis en train de travailler la gamme symétrique diminuée… tu connais ça ? « . Il avait atteint une maîtrise :
– mélodique : il faut entendre son solo sur « Giant Steps » sur l’album « East And West Coast ». On a juste envie de le chanter. Je n’ai jamais entendu un solo aussi mélodieux sur ce morceau.
– harmonique : sa connaissance est ressentie et tellement poussée que certains musiciens qui l’analysent pensent qu’il fait n’importe quelles notes. Il varie les substitutions d’accords dans une même phrase. C’est la guitare qui l’a formé de la sorte. « Tu sais, j’ai une bonne oreille harmonique. Je n’ai pas une oreille Bartok » me disait-il.
– rythmique : s’il ne participait pas beaucoup au swing, il était capable de jouer un morceau et improviser sans accompagnement et la rythmique pouvait se coller dessus dans devoir le rattraper.
– la qualité de son legato : c’est certainement la chose la plus difficile à faire à l’harmonica. Ça lui donne un jeu d’une fluidité et d’une délicatesse insondable. Il est impensable de jouer du jazz avec un tel legato et une telle délicatesse sans ressembler à un clone du maître. « Si tu ne joues pas legato on continuera à prendre l’harmonica pour un jouet »
– une technique impressionnante et cependant discrète. Il n’en mettait jamais de trop et toujours à bon escient.
Les qualités musicales ne suffisant pas pour faire une carrière comme la sienne, il a su combiner ses grandes qualités musicales avec une âme de commerçant qui le rendait, comme il le disait « un peu pingre ». Mais aussi, il sentait ce que les gens voulaient de lui avant même qu’ils lui adressent la parole.
Souvenir :
Je l’avais contacté par écrit. Il m’a rappelé une première fois. Il a pris tout le temps d’enregistrement sur le répondeur. Ensuite, il a laissé un autre message pour que je le rappelle (j’ai gardé la cassette). Je l’ai appelé et suis tombé sur Huguette, sa femme. Nous avons parlé longuement. Et quand il m’a à nouveau appelé, c’était ma fille de 3 – 4 ans qui a décroché. Elle a crié « papa, c’est un vieux monsieur pour toi ». J’étais mort de gêne.
Un jour, alors que je déprimais faute de concert et en travaillant dans une école pour enfants handicapés où je me sentais incompétent, il m’a appelé pour me dire qu’il m’avait recommandé pour donner des cours. Il m’a expliqué quantité de choses par téléphone. Ah si j’avais pu enregistrer pour prendre le temps de comprendre. C’était en 2008.
Merci pour tout Tootske et si ton corps voyage pour un éternel retour de West to East Coast, tu resteras immortel tant que l’harmonica résonnera dans le monde de la musique.

Olivier PoumayOlivier Poumay, Harmoniciste chromatique et diatonique, compositeur belge, professeur d’harmonica à l’Académie de la Hulpe.
Il est non seulement musicien, mais aussi un des professeurs d’harmonica recommandé par Toots Thielemans en Belgique. Il a donné des cours particuliers et il a enseigné l’harmonica, l’improvisation et la créativité dans plusieurs écoles privées, et ce, depuis plus de 20 ans.